Sals'Heroes Salsa Strasbourg Je suis non voyante et je danse la salsa
Je suis non voyante et je danse la salsa

Je suis non voyante et je danse la salsa

Cela fait pas mal de temps que je souhaitais poser des questions à Lucy une de nos élèves en salsa cubaine.
Lucy pratique donc la salsa une fois par semaine sur Strasbourg avec Sals’Heroes. 

Cela fait plus d’une année maintenant que je m’occupe de Lucy dans mon cours collectif en salsa cubaine et la voici en train de suivre le cours intermédiaire après une année.

C’est avec fierté que je l’observe évoluer dans la danse, dans son caractère mais aussi avec les autres élèves.
L’air de rien Lucy contribue beaucoup au progrès des élèves dans la salsa mais aussi à leur compréhension des non-voyants.
Lucy me permet aussi de devenir un meilleur enseignant, car ma précision et mon détail d’explication doit être assez précis, clair et en 3 dimensions pour que Lucy puisse se représenter les mouvements.

Des fois je me dis “mince! j’ai pas pensé à Lucy pour ce cours” et ça c’est tant mieux finalement car du coup je ne fais aucune différence. 
Et c’est le plus important pour moi. Vivre avec les gens, faire avec nos forces nos faiblesses et les transformer en points forts.

Réveiller le danseur qui sommeille en vous quel que soit votre vécu.

En tout cas notre niveau de blagues sur la vue à considérablement augmenté.

Donc si vous êtes non voyante vous pouvez danser, soyez en sûre.

Bref, voici 30 questions posées à Lucy et voici ses réponses.
(Nous nous excusons d’avance pour les diverses fautes d’orthographe qui nous auraient  échappées et que nous corrigeons au fur et à mesure)

1 Peux-tu te présenter succinctement? 
Je suis Lucy, j’ai 26 ans. Je crois être plutôt dynamique et j’aime beaucoup bouger.
2 Il semblerait que tu sois non-voyante, est ce total ou partiel?
Je suis totalement non-voyante ; j’ai parfois quelques perceptions lumineuses mais totalement aléatoires et qui disparaissent avec le temps.
3 Peux-tu me dire depuis quand? 
Je suis non-voyante de naissance.
4 Fais-tu du sport?
Je pratique l’aquagym et ai pratiqué d’autres sports par le passé (musculation, natation, escalade energym…).
5 Je crois que l’une des difficultés du non voyant est de se déplacer en toute liberté? Qu’en penses-tu?
Je partage cet avis. Il nous faut toujours calculer ce qui est possible ou pas, s’il y a des transports proches du lieu où l’on souhaite se rendre. Sinon, il faut soit se débrouiller avec le GPS ou d’autres techniques pour s’aider dans un lieu inconnu ou bien apprendre au préalable le chemin. Et si je n’ai pas d’autre choix, s’arranger avec quelques-uns qui a une voiture ou d’autres taxis ou transports adaptés… c’est assez frustrant car j’aime être le plus autonome possible et sortir quand ça me chante. Je n’aime pas devoir compter sur autrui pour aller là ou là…
6 Et du coup tu danses? C’est surprenant! Non?
J’avoue avoir été surprise moi-même. Je sais et je découvre que de plus en plus de déficients visuels dansent mais ce n’est pas chose aisée puisqu’il faut être capable de s’approprier l’espace autour de soi et surtout être à l’aise face au regard des autres et avec son corps. J’ai mis du temps avant de vraiment me lancer et les barrières ne sont pas encore toutes tombées me concernant. Je ne m’imaginais pas prendre des cours de danse.
7 Comment as-tu commencé la salsa?
J’ai commencé la Salsa grâce à une association dont je faisais partie. C’était dans un cadre précis puisque leur idée était d’ouvrir des cours de danses adaptés aux déficients visuels et qu’ils soient mélangé aux personnes voyantes; de là, j’ai eu mes premières initiations ce qui a éveillé en moi le goût de cette danse. Cette envie s’est d’autant plus accentuée après un cours (toujours dans un cadre précis) qui m’a fait découvrir cette danse d’un point de vue collectif et c’est en voyant les autres s’éclater et la méthode utilisée pour l’apprentissage que ça m’a fait aimer. J’ai laissé s’écouler six mois et j’ai poussé la porte de la Sals’Heroes Academy.
8 Comment fais-tu pour venir au cours?
Je viens en bus et en tram. Il m’est arrivé quelques fois de venir en Mobistras (transport adapté) mais c’est beaucoup plus rare et exceptionnel…
9 Donc tu viens accompagnée de ton chien guide Dubaï?
Oui

10 Ca va il supporte l’attente?

Oui. C’était un peu long pour lui au début mais je crois qu’il s’y est fait.

11 Est ce que c’est difficile de suivre un cours de salsa?

Oui et non. Disons que c’est une question d’habitude car cela demande beaucoup de concentration. Mais autrement, les explications étant précises on arrive à se faire une idée de ce qui est expliqué. Sachant que la pratique est le meilleur moyen de voir si j’ai  bien compris ou pas.

12 Donc tu es guidée par les cavaliers, comment les différencies tu?

Plein d’éléments me permettent de les différencier : la peau de leurs mains, leur parfum, leur voix… puis à force de danser avec eux, on finit par vite les reconnaître (bon il y en a avec qui j’ai encore un peu de mal…).

13 Y a-t-il une différence entre les filles qui te guident et les garçons?

Je trouve que les filles sont plus délicates dans leurs gestes.

14 que t’apporte la salsa en couple? 

Beaucoup de choses… Cela me permet de découvrir différents styles de guidage. Cela me permet également de comprendre mes pas ainsi que ceux des cavaliers puisque nos pieds s’inversent ; lorsqu’on avance le pied droit, ils avancent leur gauche je crois que vous appelez ça « l’effet miroir ». Cela nous permet également de pouvoir sentir les différentes feintes et autres figures qu’ils font pendant la danse.

15 et du coup tu danses aussi la salsa en rueda? 

Oui. Et j’aime bien car c’est une autre ambiance qu’en couple, je trouve qu’on se lâche plus.

16 Et comment fais-tu pour apprendre les mouvements, le prof n’est pas constamment collé à toi si?

Non en effet. Mais j’écoute ce qu’il dit, je suis les mouvements qu’ils essayent de me montrer. Ses explications sont précises et parfois, les copains autour de moi me donnent quelques détails lorsqu’il montre le pas avec une cavalière. Je crois cependant que notre expérience en cours particulier (grâce au contexte associatif cité plus tôt) m’a beaucoup aidé ; j’ai pu bien mémoriser les pas de base et il m’était arrivé de les refaire chez moi seule; Bon, j’avoue que pour d’autres pas, je ne suis pas sûre de pouvoir les reproduire correctement toute seule car j’ai l’habitude de les danser en couple et il faut être capable de gérer l’espace, ce qui n’est pas mon point le plus fort…

17 Mais comment fais-tu pour les enchuflas, les damé, les dos con dos tous ces mouvements où on te lâche etc? 

Ce n’est pas facile et cela me demande beaucoup de concentration. Il m’arrive quelques fois de dévier sur ma trajectoire et plus le rythme est rapide, plus c’est compliqué. Ça dépend aussi de la manière dont le cavalier nous « jette » ; par exemple dans le « damé » certains ont tendance à vite nous mener vers l’autre cavalier et il m’est difficile de les attraper. J’ai toujours peur de leur mettre la main dans la figure. En ce qui concerne d’autres passes comme le « Vacilala » j’essaie d’utiliser mon sens de la masse pour retrouver mon cavalier mais il m’arrive souvent de dévier. Néanmoins, je trouve qu’avec le temps, je progresse… Enfin je crois.

18 Moi je pense que tu es sacrément balaise quand même!

Je ne sais pas…

19 Et que t’apporte la rueda?

Du rire. Cela dit, au début cela me faisait plutôt peur. J’avais peur de foncer dans tout le monde, de perdre l’équilibre à force de tourner car chaque cavalier est différent mais surtout de faire vraiment n’importe quoi. Maintenant, j’apprécie car je me mélange avec tout le monde, je fais peut-être encore un peu n’importe quoi mais je crois que j’ai un peu moins peur du regard de mes copains de cours.

20 Y a-t-il une différence de comportement entre les élèves voyants et toi entre le moment où tu as commencé au tout début et maintenant 1 an et demi après?

Oui je trouve. Ils sont plus avenants et osent plus de fantaisies dans leurs mouvements. Je parle avec de plus en plus de gens et ça devient vraiment intéressant. Pour moi, c’est une source d’enrichissements personnels, j’irais même jusqu’à dire que c’est ce qui me permet de décompresser et de garder la tête hors de l’eau.

21 T’es tu fais des potes, copines, connaissances? 

Oui

22 Tentes tu les soirées, sorties salsa?

Je n’ose pas vraiment mais je pense que cela va changer. Comme je l’ai dit avant, je n’étais pas à l’aise avec mon corps et le regard des autres sur moi. Je commence à me décoincer avec les gens des cours mais le fait d’aller à une soirée avec des gens que je ne connais pas m’effraie encore un peu. Je me suis promis de changer ça.

23 Qu’est-ce que la salsa a changé chez toi?

Je crois que lors des fêtes, j’ai moins peur d’aller danser. Je me suis aussi rendu compte que malgré ma cécité, je pouvais échanger dans la danse avec des partenaires voyants car j’avoue que j’imaginais cela bien plus compliqué. Enfin, j’ai pu faire de nouvelles connaissances ce qui contribuent à une ouverture d’esprit. Voilà ; je dirais que la danse est une ouverture d’esprit mais aussi sur d’autres choses, d’autres sens, d’autres manières de voir ce qui m’entoure. La Salsa m’a aidé à prendre conscience du fait que je pouvais être libre dans mes mouvements. Même si c’est encore fragile, je parviens doucement à me libérer dans mes mouvements. C’est assez difficile à expliquer…

24 Ton entourage est-il surpris? Inquiet? Fier?

Mon entourage ? Mes amis semblaient agréablement surpris et ont vu ça d’un très bon œil. Mes parents eux aussi sont très contents. Ça ne leur fait pas peur d’autant plus que tous savent que je m’éclate.

25 As-tu un conseil à donner aux cavalières voyantes ?

Les filles, même si vous voyez et que vos yeux parleront avant tout le reste, ne les écoutez pas ! Du moins pas totalement. Il faut avoir confiance en son cavalier et se laisser guider. C’est votre corps qui écoute les signaux envoyés par le corps de votre partenaire. Les yeux vous permettent sans doute de décrypter ce qu’il veut, de le regarder mais tout se passe sur le ressenti. Ecoutez la musique, écoutez votre corps.

26 As-tu un conseil à donner aux cavaliers voyants ?

Les gars, laissez-vous guidé par le rythme de la musique et soyez précis dans vos gestes afin que la cavalière puisse démarrer et réagir à vos demandes. N’y allez pas non plus à la « sauvage » mais si l’impulsion est bonne, alors on devrait pouvoir vous suivre sans problème. Chacun d’entre vous a son style mais je sais que certains aiment bien essayer de nouvelles techniques et de nouvelles fantaisies. Je crois que c’est important de d’abord « cerner » la fille dans ses pas avant de vouloir tenter des actions héroïques car, pour moi en tout cas, il y a parfois des feintes que je ne comprends pas et ça peut mettre mal à l’aise…

27 Si une non-voyante veut apprendre la salsa, que peux-tu lui conseiller pour commencer?

Je pense que dans un premier temps il faudrait qu’elle commence par quelques leçons en particuliers afin que le professeur puisse lui enseigner les bases tranquillement. Je pense qu’il ne faut pas non plus trop tarder, une fois commencé, à aller aux cours collectifs car il est bon de pouvoir tester d’autres techniques de guidages que celle du prof. C’est un bon moyen de se décoincer aussi; enfin, ne pas hésiter à dire gentiment à son cavalier si on ne comprend pas ce qu’on nous demande. C’est très important. Et enfin, ne pas se prendre la tête. Il y a des jours avec, des jours sans, des mouvements qu’on comprendra très vite et d’autres pas. Il ne faut pas se braquer.

28 Écoutes tu de la salsa?

Oui ; mais pas tous les jours.

29 Une question que tu peux te poser

J’ai pu constater à plusieurs reprises que beaucoup de cavaliers ne parvenaient pas à suivre le rythme imposé par la musique. Mon souci est que j’ai très vite le rythme dans la peau et j’ai tendance à me laisser plus porter par la musique que par les pas du gars. Comment faire pour m’y retrouver ? J’avoue que c’est difficile. On apprend à écouter et suivre le gars ce que j’essaie de faire mais la musique finit toujours par me rattraper…

30 Le mot de la fin? 

Je dirais que mon expérience en Salsa est juste énorme. Je dois certes une fière chandelle aux personnes qui m’ont lancé là-dedans mais surtout à la Sals’Heroes Academy qui m’a ouvert ses portes avec un prof et des partenaires qui savent me respecter et m’accepter comme je suis ; sans me materner, sans m’exclure. Je ne regrette pas cette danse qui m’apporte un épanouissement grandissant; j’avoue qu’au début engouement n’était pas le même mais là…   Je fais de nouvelles connaissances, j’apprends à connaître la Salsa, les cavaliers mais aussi quelque part à me connaître.

2 Comments

  1. MARTI Yannick · 21 novembre 2014 Reply

    J’ ai dansé 2 fois avec Lucy, la première fois c’ est moi qui était maladroit……… La deuxième fois, j’ ai essayé d’ oublier son handicap, juste être léger au guidage, et c’ est passé….. Mais danser, c’ est en musique, et là, j’ ai bien ressenti que le problème pour Lucy, c’ était plutôt moi ……………. Toute mes félicitations pour sa volonté, et la réussite de son défit personnel.

  2. Jean marie · 21 novembre 2014 Reply

    Bravo Lucy , bravo a alex et à son équipe pour leur Engagement .
    J’aurai plaisir à redanser avec Lucy , mais je ferai plus attention à la musique …, qui plus est elle sera en intermédiaire , je lui demanderai de me conseiller ..!!

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